dimanche 22 décembre 2013

Dany Laferrière: Une grande fierté haïtienne

Le jeudi 12 décembre 2013, notre compatriote et ami Dany Laferrière a été élu, dès le premier tour, pour occuper le second siège important à l’Académie Française. Il a obtenu 13 voix sur 23. Dany vit à Montréal, mais il se trouvait en Haïti le jour de la proclamation des résultats de l’Académie Française. Il a transcendé les frontières et brisé toutes les barrières sociales dressées sur son chemin. Il a réussi dans ses démarches.

Ses premières armes d’écrivain au Collège
Canado-Haïtien

Windsor Kléber « Dany » Laferrière est né à Port-au-Prince, Haïti et a un lien secret avec Petit-Goâve. Son berceau  / son premier lit était « Made in Haïti ». Il a fréquenté le Collège Canado-Haïtien de Turgeau à Port-au-Prince, Haïti.  Il a eu pour professeurs feu Gérard Campfort, Wesner Emmanuel, Jacques Desravines, Frère Claude (Jean Daniel Jacques), Frère Louis(Clérismé), Claude Etienne, Elysée Joseph, Frère / Père Raymond Barbe. On ne peut non plus oublier les directeurs, Frères Albert (Georges Matelier) et Jean Laliberté qui ont su diriger cette institution à bon port en imposant une discipline digne de la congrégation des Frères du Sacré-Cœur.

À l’époque, l’écolage ne coûtait que 50 Gourdes le mois. Cela prouve que les professeurs ne gagnaient pas beaucoup. Ils tenaient simplement à leur vocation et leur bonté de cœur pour donner le pain de l’instruction aux enfants, toutes couches sociales confondues. N’est-ce pas là une dette et une redevance envers les professeurs haïtiens et Haïti ? Dany Laferrière faisait partie de la promotion 1971-72. Il interagissait avec tous les élèves de sa promotion et même avec ceux qu’il devançait académiquement. Il avait l’esprit ouvert, et contrairement à la grande majorité, il ne montrait aucun signe de timidité.

Dany est un pince-sans-rire et un taquin-né. Déjà, on notait aussi son talent d’acteur-comédien. Le vendredi  15 janvier 1971,  la veille de la date  d’anniversaire du Professeur Gérard Campfort, Dany présenta un vibrant discours  pour formuler des vœux sincères à l’endroit du professeur de littérature haïtienne et de philosophie,  qu’il admirait tant. Il utilisa une simplicité de style et des mots justes pour s’exprimer. Il a été vivement applaudi et avait même reçu un long standing ovation. Il le fit avec une élégance rare et les mots qu’il choisit avaient mis en évidence son riche vocabulaire et le résultat de ses lectures quotidiennes.

À 17 ans, Dany avait déjà lu les œuvres des plus grands auteurs haïtiens et français qui avaient marqué les littératures haïtienne et  française. Il avait de bonnes relations avec  le Professeur Gérard Campfort qu’il allait visiter chez lui à la Rue des Casernes. Il sut bien où se brancher pour trouver ce qu’il recherchait : la connaissance dont il avait soif. Il donnait déjà priorité à la lecture et à l’écriture. Et on sut depuis lors que Dany Laferrière allait embrasser l’écriture pour carrière. C’est un fait que  Jean-Yvon Toussaint (ancien Sénateur de la République d’Haïti) et Yves Débrosse, tous deux  anciens élèves de la promotion de Dany au Collège Canado-Haïtien, avaient remarqué. Débrosse maintient encore de très bonnes relations avec l’écrivain-ami.

Le talent sportif de Dany Laferrière 

Comme tous les jeunes de sa génération, Dany Laferrière savait aussi jouer au football. Il était un classique du ballon rond,  mais il n’a jamais voulu faire partie de l’équipe de football du Collège Canado-Haïtien qui, lors, participait au championnat interscolaire qui se déroulait au stade Sylvio Cator tous les vendredis après-midi. Pourtant, Dany Laferrière avait créé une équipe de football de quartier qu’il baptisa du nom de « De Base Technique». Ce nom traduit l’esprit qui l’animait.  Pour faire partie de cette équipe, il fallait avoir une solide base fondamentale en football. Cela voudrait dire qu’on devrait commencer avec les « chenets » pour arriver au ballon régulier de size 5, en passant par les petites balles de tennis puis les « boules kawotchou 2 gourdes et demie ». Professeur Etienne Télémaque qui vit à New York se souvient encore de: « De Base » puisqu’il en parle encore.

Dany avait vraiment une grande aptitude pour le sport. Il savait aussi jouer au Ping Pong – tennis de table. Il avait participé à un championnat de Ping Pong qu’avait organisé le Collège Canado-Haïtien, où il avait rencontré Charles Vorbe en semi-finale et Jean Desse en finale.  Tous les élèves de l’établissement, de la 6e à la philo, avaient assisté à ces rencontres. Personne ne sut que Dany Laferrière était pongiste et qu’il pouvait jouer aussi bien au ping-pong. Surprise! Cela permet de comprendre bien mieux quand l’auteur de « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » dit qu’il faut l’assiduité au travail et l’audace pour réussir dans ses entreprises.

Un nouvel horizon s’ouvre dans la vie de Dany Laferrière

Après ses études au Collège-Canado Haïtien, Dany Laferrière devint journaliste au Petit Samedi Soir. Il entretenait une relation sincère, étroite et honnête avec Gasner Raymond, dont le gouvernement de Duvalier avait coupé le souffle pour ses prises de position. Lors de mon premier voyage-retour en Haïti en 1976, un ami qui m’accompagnait dans mes excursions m’amena à un studio de photo à la Rue de la Réunion près du Palais National, où la photo montrant le corps de Gasner Raymond était affichée.  Ma curiosité m’a poussé à poser des questions à l’homme qui m’accompagnait autour de la mort de ce journaliste du Petit-Samedi Soir. Il changea d’attitude et me dit « evite m dezagreman bòs papa, siman ou byen ak Dany Laferiè tou » et j’ai répondu : mais oui. Le guide m’a laissé seul et je ne voyais que sa silhouette qui longeait la Rue de la Réunion en direction sud. Même si on lançait Usain Bolt, le plus grand coureur du monde, après lui, il ne pourrait l’attraper dans sa course. J’avais perdu mon guide du jour. 

Se sentant très menacé à cause de son amitié et sa coopération avec Gasner Raymond, Dany Laferrière prit le chemin de l’exil en 1976. Il partit pour Montréal, où commença sa carrière d’écrivain. En 1979-80, on le rencontrait souvent à New York quand on allait visiter Dernst Emile, ce grand musicien haïtien, qui aussi habitait dans le complexe d’appartements, situé à côté de Mary Immaculate Hospital à Jamaica, Queens New York, au coin de la 150e Rue et la 88e Avenue.  Il exerçait encore sa profession de journaliste en coopérant avec l’hebdomadaire Haïti-Observateur où il publia des articles très intéressants et pleins de substance, sous la rubrique  « Carte Blanche ». Il a relaté son passage à Haïti-Observateur dans son livre « Les années 80 dans ma vieille Ford ». On ne pouvait rater sa chronique hebdomadaire « Carte Blanche ». Depuis, on a pu remarquer qu’un nouvel horizon se dessine dans la vie de Dany. On a aussi redécouvert le talent de comédien chez Dany Laferrière, quand il conversait avec ses amis proches. D’ailleurs, il me rappelle Richard Pryor, et ils se ressemblent un peu  physiquement. 

Dany Laferrière l’écrivain le plus prolifique de sa génération

En 1985, Dany a écrit son premier roman « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer », un livre qu’il m’a signé en écrivant ce qui suit : Pour Jn Robert, mon frère depuis si longtemps …tendresse». C’est un grand honneur. D’ailleurs, tout bon lecteur devrait acheter  les livres de cet écrivain. Dany Laferrière demeure l’écrivain le plus prolifique de sa génération. Il a publié plus que 20 livres, qui sont traduits en plusieurs langues. En 1987, il écrit « Eroshima ».En 1990, Dany laissa Montréal et entra à Miami. En 1991, il a publié « L’odeur de café » pour lequel il reçut le Prix Carbet  de la Caraïbe. En 1993, le prix Edgar-Lespérance lui a été décerné pour son roman «  Le Goût des jeunes filles ». Un an plus tard, il nous gratifie de « Chronique de la dérive douce ».

En 1996, il nous offre « Pays sans chapeau », « La chair du maître » et «  Le charme des après-midi sans fin » en 1997.  « Le cri des oiseaux fous » et « Je suis fatigué » parurent en 2000. En 2002, il nous présente « Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ? En 2004, il  a produit un film « Comment conquérir l’Amérique en une nuit ». En 2005, « Vers le sud » a été adapté d’après 3 de ses courtes histoires. En 2009, Dany Laferrière reçut le Prix Médicis pour « L’Enigme du retour ». Il a écrit « Je suis fou de Vava » en 2005, « Je suis un écrivain japonais «  en 2010, « Tout bouge autour de moi » (2010), « L’art presque perdu de ne rien faire » (2011),  « Journal d’un écrivain en pyjama » (2013).  

Avec son ascension au siège numéro 2 de l’Académie Française, Dany Laferrière devient le premier Canado-Haïtien ayant reçu un si grand honneur. Dany reste et demeure une inspiration pour tous ceux qui le connaissent. Il ne laisse pas le succès lui monter à la tête. Sa simplicité le rend spécial et unique. Les élèves du Collège Canado-Haïtien,  particulièrement ceux de sa promotion,  sont aujourd’hui tous très fiers de Dany Laferrière, l’Immortel. D’ailleurs, l’Association des anciens élèves des Frères du Sacré-Cœur et du Collège Canado-Haïtien de New York lui avait rendu un hommage bien mérité. Dany n’a jamais fait des études universitaires, comme il l’a dit,  mais il a fait des efforts sur lui-même en caressant des rêves qu’il a pu concrétiser, dont le plus grand est son ascension au second siège de l’Académie Française. Le fait qu’il s’était inscrit candidat aux élections de cette institution le prouve bien.  Sincères félicitations, Dany Laferrière.

robertnoel22@yahoo.com

Source : RTVC

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